Du
"je souffre" au "que suis-je ?"
Chacun d'entre nous souffre d'une espèce de tension entre
sa singularité* (ce que nous sommes comme objet que nous ignorons être) et
le lien social* (la vie avec les autres). En s'interrogeant sur sa singularité,
le sujet est rapidement confronté au dilemme suivant : pour rentrer dans la
vie commune, il a l'impression de renoncer à ce qu'il est ; pour plaire aux
autres, il perd sa " vraie personnalité ". À l'inverse, s'il refuse de renoncer
à sa singularité, autour de lui, le lien social se défait. Parallèlement,
la question du " que suis-je ? " regroupe toutes les modalités qui mettent
en question l'Autre* : le sentiment de ne pas être à sa place, d'être mal
aimé ou de n'être pas reconnu. Dans sa recherche quotidienne, le sujet est
donc gêné, car un savoir fondamental lui fait défaut. La marque de cet échec
est le symptôme*, c'est-à-dire la façon dont, quitte à en souffrir, le sujet
loge le plus singulier de ce qu'il est dans le social .
La souffrance et la question de l'être sont intimement liées. En effet, le sujet
pense que s'il souffre, c'est que l'Autre ne lui donne pas ce qui atténuerait
sa souffrance, ou qu'il est la cause de sa souffrance. D'autre part, et à son
insu, les expériences de souffrance donnent consistance à l'idée que la chose
dont l'absence fait souffrir doit bien exister. Dès lors, le sujet réitère les
situations de souffrance pour sentir qu'il est, pour se prouver qu'il est. Il
répète les rencontres ratées avec son être. La rumination obsessionnelle*, par
exemple, est une façon de se maintenir dans un certain rapport à l'autre*. Le
sujet peut s'apercevoir un jour que ce symptôme l'empêche de vivre, d'avoir
des relations. La solution qu'il s'est donnée est en même temps un obstacle,
à un certain moment, à son rapport à l'autre .
"
Je souffre, donc je suis "
Quand
le symptôme pousse à la rencontre
Certaines
personnes s'accommodent très bien de leurs symptômes et s'en plaignent assez
peu. Chez d'autres, les mêmes symptômes provoquent une souffrance invalidante
: ils opèrent comme un caillou dans la chaussure qui empêcherait de marcher.
Dans cette situation, le sujet peut avoir le sentiment qu'il ne tire pas de
la vie ce qu'il devrait. C'est ce qui le conduit parfois à interroger son rapport
au monde, son rapport aux autres. " Mais qu'est-ce que j'ai fait ? ", " Qu'est-ce
qui m arrive ? ", " Qu'est-ce que je suis ? ", " Qu'est-ce qui fait que je me
mets toujours dans ces situations identiquement douloureuses ? " Le sujet réclame
du sens pour boucher le trou du savoir.
La condition
pour entrer en analyse...
Il arrive que le sujet aille voir le psychanalyste comme un spécialiste
de plus, choisi sur la liste des disciplines médicales. L'analyse* ne commence
pas s'il en reste là : le psychanalyste ne sera qu'un médecin ou qu'un guérisseur
supplémentaire. Mais, à partir du moment où le sujet a le sentiment que son
symptôme n'est pas seulement un handicap, mais aussi une énigme ("Pourquoi est-ce
que j'adopte ce symptôme que rien ne justifie par ailleurs, qu'est-ce qui peut
faire qu'il s'introduit dans ma vie ? ") , le sujet change de position par rapport
à l'Autre (l'Autre n'est plus la cause de tous ses maux, sa propre responsabilité
est engagée).
Le
symptôme inventé par le sujet pour loger son être dans
le monde, témoigne de la tension entre le singulier (le sujet) et le
social ( le lien avec les autres). L'analyse commence quand le sujet s"interroge
sur la part qu'il prend à ce dont il se plaint.
Telle
jeune femme rencontre toujours des compagnons qui la battent. Cessant d'imputer
la violence à tous les hommes, elle finit par se demander si elle n'est pas
pour quelque chose dans ce comportement, voire si elle ne le recherche pas !
C'est ce qui la conduit à la psychanalyse : pour le vérifier et tenter d'en
sortir.
Dans
sa vie quotidienne pour répondre à la question de ce qu'il est,
le sujet* élabore des solutions qui sont parfois insatisfaisantes...
De
la répétition à la cure :